L’accueil : rencontre préalable à une relation
L’accueil et ses écueils
Introduction
Lors de nos échanges au sein de notre groupe de travail pluridisciplinaire, certaines constantes dans nos pratiques nous sont apparues...Nous avons souhaité réfléchir sur le concept d'accueil:
"- Synonyme d'une rencontre, d'une relation, il n'est pas réductible à une admission... Accueillir, c'est être dans une certaine disponibilité ...C'est être là, c'est être avec... La fonction d'accueil c'est surtout une culture qui a été transmise et qui se partage.
L'accueil touche au temps et à l'espace accordé dans un cadre d'observation donné. L'accueil de la souffrance du sujet c'est d'aller vers...du supportable et du plaisant, mais aussi de pouvoir soutenir l'insoutenable ( ou l'insupportable).
Actuellement, nous nous plaçons dans une dynamique institutionnelle qui voudrait qualifier et quantifier les bonnes pratiques afin de les appliquer aux capacités d’accueil du soignant. Ne s’agirait-il pas d’un formatage du “ bon accueil ” ?
Dans un contexte hospitalier, il convient de travailler au carrefour de demandes diverses, avec des attentes parfois incompatibles :
· De la société : du “ Monde dit Normal ”
· De l’hôpital
· De l’équipe soignante
· Du patient et de sa famille
Comment penser l'accueil de l'autre sans tenir compte de ces multiples attentes qui, finissent par devenir des contraintes ?
Au travers des difficultés auxquelles nous nous heurtons dans notre pratique professionnelle, nous verrons que l'accueil émerge comme facteur primordial à la singularité de la rencontre.
DOMINIQUE : L’attente de la Société et du Monde dit “ Normal ”
Comment parvenir à gérer les idées véhiculées et l’étiquette qui nous est collée ? Le monde dit normal aime croire que nous détenons les moyens d’accéder au monde effrayant et inconnu de la folie.
Souvent, nous entendons ces petits mots:
“ Nous ! on ne sait pas faire….Je ne suis pas informé, pas formé, je ne comprends pas….Il est incapable…
Vous ! vous avez l’habitude….Et en plus vous leur faites faire du théâtre ! ”
Tout ceci semble prouver à la société, que nous pouvons, armés d’un outil de décodage, parvenir à une rencontre et pourquoi pas : à la guérison !…
A l’occasion d’un signalement, ou d’une situation de crise, on découvre un enchevêtrement de démarches et de dossiers abandonnés. On perd une énergie importante à dénouer le fil des obstacles posés par les différents intervenants socio – médico - administratifs, avant de pouvoir véritablement accéder à la rencontre de la personne.
Accueillir ces personnes en souffrance nous amène à nous intéresser à leur vie quotidienne. Ici : “ on quitte le ciel des débats abstraits pour s’écraser sur le sol de la réalité. ” Vivre avec le RMI, l’AAH… Une prouesse que peu d’entre nous serions en capacité de faire... Pourtant! c’est ce à quoi sont habitués ceux que nous recevons.
Les personnes que nous recevons sont victimes d'exclusion et de ségrégation de toute part. Ainsi à leur problématique définie dans les termes d’aliénation mentale se surajoute l’aliénation sociale qui renforce l’isolement.
En nous les adressant, la société nous donne l'injonction de les contrôler, et aime à croire que nous avons le pouvoir de le faire. Nous sommes ici sur le terrain de la croyance et non de la réflexion et de la responsabilité de chacun. D’où des sollicitations parfois incongrues sur des situations qui ne font pas forcément partie du champ de la psychiatrie, qualifiables tout simplement de différentes.
GHISLAINE :L’attente de l’ administration et de l’hôpital :
La réalité économique exerce une pression pour raccourcir la durée d’hospitalisation et donc trouver des solutions de sortie, dès l’accueil , dès les urgences ou dans les services. Parlons-nous du même accueil alors qu'il s'agit pour l'hôpital d'une admission ?
Jean Oury affirme que" L'admission, ça n'a rien à voir avec l'accueil, c'est souvent un anti-accueil "
Qu’en est-il de l’essence même de l’accueil qui, on le sait bien est un état qui permet, offre, autorise quand il découle, d’une disponibilité laissant une grande part à l’incertitude qui invite à la créativité.
Afin de garantir un équilibre et concilier les impératifs institutionnels avec nos principes éthiques, nous sommes amenés à un surmenage psychique quotidien.
Il est coûteux de lutter contre ces contradictions si nous y répondons par un “ faire ” perpétuel !
La fonction d'accueil n'est pas à prendre au sens résidentiel, ni structural, mais au sens de la construction mentale : de l'hospitalité psychique, nous précise Martine Girard, construction collective d'un environnement et d'un cadre thérapeutique partagé, comme condition de la prise en compte de la réalité psychique singulière.
GHISLAINE :L’attente du patient et de sa famille
On ne peut connaître l’attente du patient sans qu’il n’ y ait eu: rencontre. Le patient doit en retour, en un premier lieu, accepter également la rencontre avec l’autre.
Certaines prises en charge s’effectuent au travers d’attentes et de demandes parfois inconciliables. Nous devons naviguer entre les différents écueils constitués par : les injonctions de soins, les réticences des familles et les oppositions des patients. Parfois, nous nous voyons à notre insu investis “ d’une capacité quasi miraculeuse ! et…
Ainsi nous pouvons entendre du côté de la famille:
“ - Depuis que vous le suivez, depuis qu’il prend ce traitement, il va mal, il ne fait plus rien ! ”
Mais du côté du malade, nous sommes questionnés sur la durée de la maladie, du traitement :
“ Qu’est-ce que je dois faire ?….Je fais tout ce que vous me dites !… ”
Toutes ces projections peuvent nous renvoyer à un fort sentiment d'échec et d’impuissance ! ! !
Nous le voyons bien, la question de l'accueil se réfléchit et se vit dans des situations de contrainte.
S’il y a le souci de se faire accepter, il se conceptualise une certaine organisation, qui se crée au travers de rendez-vous patiemment tissés, de visites au domicile du patient riches de surprises. C'est dans cette dynamique inversée que nous nous trouvons: accueilli. Ceci met en jeu chez l'autre, des capacités insoupçonnées, et souvent, l'incursion dans son univers ne nous ménage pas. Même les plus endurcis d’entre nous sont confrontés à leurs propres limites. Il est surprenant de voir combien notre venue peut-être souhaitée alors que nous l'avions présumée comme intrusive.
Dans ces instants, nous devons d’être vigilants, car l’accueil fait appel à notre disponibilité. Nos positionnements s’adaptent par le biais des échanges et du travail collectif. La prise en charge peut enfin débuter.
DOMINIQUE L’attente de l’équipe soignante :
Face à tous ces écueils, le collectif soignant peut se demander quel est le sens de son travail !
L’accueil pose la question de l'investissement, et touche à la relation soignant -soigné en termes de communication, d'échange au sein d'une équipe. Pour y accéder, la rencontre nécessite que le soignant soit suffisamment engageant, avenant, qu’il admette de parler de lui, et qu’il admette d’entendre. C'est une position difficile soulevant la question de la distance. Il y a en chacun, une résonance et une certaine capacité d'écoute et d’empathie.
Accueillir l’autre fait appel à notre propre inconscient et revient à s’accueillir soi, afin de pouvoir accueillir l'autre en soi.
On ne peut transmettre que dans la mesure où il nous a été donné de recevoir, ce qui participe à notre construction psychique. La résistance psychique amène l'évacuation de cette question de l'accueil.
Mais attention! Celui qui accueille n’est pas forcément celui que l’on croit! L’accueil est un chemin ou deux personnes vont à la rencontre l’une de l’autre... Accueillir l'autre, un sujet en souffrance ne peut se faire que dans un tissage du champ relationnel.
Il nécessite un travail soutenu, partagé lors d’échange en équipe, afin de maintenir un équilibre, et donner un sens à nos pratiques.
VANESSA: De l'attente à l'inattendu de la rencontre
Accueillir c'est ouvrir un espace où nous accueillons l'inattendu. Cet inattendu surgit souvent quand nous sommes aux prises avec d'autres tâches de la vie quotidienne en psychiatrie. C'est à dire: en faisant le ménage, lors d'entretiens avec le soigné, lors d'une activité, lors d'échanges entre soignants, pendant l'administration du traitement, au moment du repas des malades, ou pendant le temps de pause déjeuner des soignants... Le patient nous interpelle à ces moments-là, où nous sommes occupés à faire autre chose. Et c'est souvent là, dans ce temps d’effraction, que peut se nouer une rencontre avec lui.
L’ exemple clinique que voici, peut-être vous parlera…
Ce jour-là, nous étions installés dans la salle de soins. Différents soignants de l'équipe de fonction diverses étaient présents: ASH, aide-soignants, IDE, psychologue... Certains remplissaient les dossiers de soins, d'autres enregistraient une nouvelle entrée sur ordinateur... Au fur à mesure, que chacun achevait ses tâches, nous nous sommes retrouvés assis en demi-cercle, à échanger au sujet des patients . De fil en aiguille, le thème de discussion devenait plus personnel ...
Une patiente que nous appellerons Sarah, nous interrompt afin de formuler sa demande. Il lui a fallu du temps pour la poser. D'une manière euphorique, elle nous parle d’un endroit quasi idyllique au sein de l'hôpital, où règne une ambiance conviviale et chaleureuse. Elle décrit un groupe de personnes qui regarde ensemble, la télévision. Elle nous dit qu'elle veut s'y inscrire, car ces personnes lui ont dit que c'était possible, qu'il fallait juste s'inscrire!
Or, ce lieu se situe sur un autre secteur de psychiatrie!... Elle ne pouvait entendre qu'elle ne pouvait pas y aller, et encore moins s'y inscrire. Ce qui attise sa foudre et la met dans tous ses états. Elle dépose sa souffrance. Elle crie et nous signifie que personne ne veut d'elle, qu'elle est rejetée par tous. Certains soignants essaient de discuter avec elle, en vain... A ce moment-là, elle dit je cite:" il ne me reste plus qu'à mettre fin à mes jours... Je vais me tuer...Vous allez me tuer..." Cette description paraît théâtrale mais elle est fidèle à son ressenti. Pour elle, c'était terrible... Aux prises au surgissement de son vécu et de son histoire de vie rythmée par le rejet, la perte, l' abandon, et la violence, elle n'entend pas les dires des soignants qui essayaient de reprendre cela avec elle.
Entre temps, certains soignants -hommes sortent de la salle de soins... et nous nous retrouvons entre femmes. Sarah continue à faire des “ va et vient ” entre la salle de soins et l'ascenseur qu'elle appelle entre deux reproches qu'elle nous adresse. Elle nous rend responsable en partie de son mal-être. Après plusieurs tentatives de négociation, une soignante pose les limites de l'équipe, en refusant d'occuper davantage, cette position : coupable. Elle nomme ce qui est insoutenable d'entendre pour une équipe soignante autour de cette menace de mort . Je me souviens " vous entendez un peu ce que vous nous dites ? " Sarah entend et lui répond en hurlant de plus belle...
Et là, elle l'invite " à parler avec nous" tout en lui proposant un siège à côté d'elle, parmi les soignantes présentes, afin d'en discuter, "au lieu de faire n'importe quoi n'importe comment." Les cris et les semblants de pleurs s'apaisent peu à peu . Elle prend place parmi nous et s'excuse de son attitude. Au fil de la discussion, elle parle d’une partie de son histoire. Elle a rejoué auprès des soignants sa manière d'être au monde. Elle dit " je me suis comportée comme je faisais avec mes parents qui sont décédés..."
Une fois, sa problématique singulière posée, elle nous transporte au hammam... Il ne manque plus que les makroudes! L'ambiance est sous le signe du partage et de l'échange. L'identification féminine opère des 2 côtés! Elle est entourée de femmes que nous sommes, et échange avec les soignantes autour de soins corporels et de beauté typiques à sa culture.
Ce temps d'accueil du rejet vécu par cette patiente, s'est transformé en rencontre du sujet avec son histoire et a permis grâce à une dynamique d'équipe, un échange relationnel riche, où pendant un temps, le masque de la folie a disparu au profit de l'émergence d'un être humain à part entière. La création d'un espace d'ouverture et d'écoute autant du côté soignant que soigné, a pris ici, tout son sens. Cette position de retrait est à travailler inlassablement, du fait même de la répétition de la problématique du sujet.
Le sujet réveille en nous, cette part d'humain. Il nous affecte dans notre construction de sujet en touchant au plus près de notre sensibilité tout en nous questionnant sur nos propres limites.
CONCLUSION
Prendre soin d'accueillir, nous dit Martine Girard "ce n'est pas pour autant ménager le patient, éviter de le faire souffrir ou de rajouter "du trauma C'est avant tout savoir reconnaître, nommer et poser les conditions basales de notre travail, en tant qu'elles sont d'abord nos conditions, mais chaque fois singulières, au cas par cas."
La question de la disponibilité de chacun dans l’écoute de ce qui se passe , est sans cesse mise à l’épreuve face aux demandes diverses.
Le risque est d'être submergé et d'oublier de se saisir de la demande du patient, porteur d'une problématique singulière qu'il dépose en un lieu, et à l'endroit du soignant que nous sommes.
L'accueil c'est aussi soigner l'institution c'est- à dire travailler sur l'ambiance, la vie quotidienne et se questionner sur les dispositifs de soin, afin de mieux organiser et favoriser la rencontre avec l’autre
Le travail de psychiatrie est de mettre en œuvre des méthodes pour accueillir l'individu en souffrance, en essayant de lui redonner un brin de subjectivité dans les intéractions soignantes, et d’amener un sentiment continu d'exister.
Il est important d'ouvrir notre questionnement autour de la pratique de l'accueil dans la cité car l'hôpital psychiatrique n'est plus le seul lieu, théâtre de la souffrance. Le problème actuel est d'améliorer les conditions d'existence et solliciter et encourager les initiatives des soignants.Equipe GO3, Chalucet: G.Cassara, D.Venandier, V. Etang-Salé, L.Dekhli, L.Jacquis.
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