"Histoire de la Psychothérapie Institutionnelle" Symposium Pierrefeu 2007

En préambule à cette intervention, je tiens ,à la fois à saluer l’opportunité de pouvoir se rencontrer entre professionnels de psychiatrie de la région et à regretter que ce type de possibilité d’échanges ne puisse se faire plus régulièrement dans le cadre et avec les budgets de l’hôpital public. Cette parenthèse refermée, je vous présente Isabelle et Edith qui, en s’appuyant sur quelques vignettes cliniques, vont vous parler du concept de transfert éclaté ou « constellation transférentielle », concept développé à partir de la seconde guerre mondiale par le mouvement de psychothérapie institutionnelle qui a pris sa source dans le petit hôpital psychiatrique de Saint Alban en Lozère durant l’occupation allemande ,pendant la seconde guerre mondiale. Quand à moi, je suis Patrick SIMON et mon propos, a travers une petite recherche historique, est de montrer les liens que j’estime étroits entre l’évolution de la clinique en psychiatrie , et l’évolution politico-économique de la société française. Le sujet étant vaste, et le temps qui m’est imparti court, j’ai circonscris ma recherche à une période partant de la fin du 18ème siècle, qui me semble être un moment charnière lors duquel se sont mis en place les fondements de la psychiatrie et allant jusqu’à la seconde guerre mondiale, période trouble qui a peut être permis (et c’est un moindre mal), dans un mouvement de résistance, la possibilité de l’émergence d’idées et de pratiques nouvelles qui font parties des fondements de la politique de secteur.
Je pense bien évidemment au mouvement de psychothérapie institutionnelle.

Lorsqu’en 1799, le Docteur PINEL écrit son « traité médico-phylosophique sur l’aliénation mentale », il est lui-même soumis aux idées de l’époque qui viennent en ligne droite du siècle des lumières et de la révolution française. L’intérêt de la révolution française dans cette histoire est que le pouvoir politique incarné jusqu’à lors par le roi n’est plus de dimension divine, mais devient l’émanation de la volonté populaire. De ce fait, l’histoire des hommes appartient maintenant aux hommes, et nul n’est extérieur à la société. Dans ce courant de pensées, la folie prend un autre statut, puisqu ’elle n’est plus une affaire de malédiction.

L’idée maîtresse qui se dégage est que nul citoyen n’est extérieur au droit, du moins en théorie. Le « fou » est considéré comme un sujet à part entière, dont le principe s’articule sur deux axes. Le premier émet la possibilité qu’on peut communiquer avec lui et le deuxième est l’affirmation d’une historicité de ce qui devient une maladie et non plus une malédiction divine.

Un très bon point donc pour la prise en charge de la folie : les possédés deviennent des aliénés, et ils évitent donc les bûchers, prisons, nefs des fous, et autres réjouissances dont parle abondamment Michel FOUCAULT dans son « histoire de la folie à l’âge classique ».

On peut même dire qu’à cette époque, nous sommes passés pas loin de la mise en place d’une politique de prise en charge de la maladie mentale qui aurait pu faire gagner cent ans à la psychiatrie, et que l’on pourrait presque qualifier de pré-sectoriel. En effet, lors de la convention, les plus progressifs (la gauche) voient dans la mise en place des hôpitaux l’incarnation de l’ancien totalitarisme royal, et propose un changement politique radical prévoyant une assistance décentralisée pour tous. Ils sont malheureusement minoritaires. Plus nombreux et plus puissants sont ceux qui pensent que l’hôpital peut être assaini et spécialisé pour accueillir ces nouveaux malades. Le dispositif aliéniste est maintenant en place, la médicalisation de la folie est en marche.

Pinel, donc, qui est un médecin dont la carrière et la notoriété s’étendent sous différents régimes, de la convention au milieu de la restauration, va connecter trois dimensions, dont l’articulation va constituer la synthèse aliéniste.

· La classification de l’espace institutionnel.
· L’ordonnance nosographique des maladies mentales.
· L’imposition d’un rapport spécifique du pouvoir des médecins sur celui qui est devenu un malade.

En fait, Pinel, qui est resté dans la postérité comme celui qui a libéré les fous des chaînes par lequel il était entravé, a contribué dans une large mesure, et en partie malgré lui, à son isolement et son aliénation pour le siècle à venir.

La loi du 31 juillet 1838, lorsqu’elle est promulguée, jouit du respect général. On lui accorde un caractère humanitaire et rigoureux quant à son énoncé reconnu compatible avec les garanties qu’exige la privation de liberté.

Cette loi a deux caractéristiques fondamentales :

· Elle oblige chaque département à s’équiper d’une structure reconnue spécifiquement comme asile d’aliénés.
· Elle rend légal l’internement dans ces structures y compris contre la volonté du malade et donne les pleins pouvoirs aux médecins aliénistes.

Ces derniers participaient à l’époque à la fois à l’organisation asilaire, et à la vie politique. D’ailleurs, l’article 8 de l’ordonnance de 1839 stipule que « le service médicalisé, ainsi que la police médicale et personnelle des aliénés, est placé sous l’autorité du médecin ».

La psychiatrie devient alors un monde clos et ce pour de nombreuses années, monde dans lequel les valeurs bourgeoises de la société du 19ème siècle imposent un traitement orthopédique de la folie, la valeur essentielle étant celle du travail : La durée quotidienne de ce travail a une amplitude de dix heures par jour, hommes et femmes besognent aux tâches ménagères, aux travaux de blanchisserie ou de cuisine. Ainsi, le travail va constituer le pivot du traitement moral et va être également le moyen économique de rentabiliser l’établissement.

Les asiles sont vites surpeuplés, le nombre de médecins restreints (un médecin pour 400 ou 500 malades), et le traitement individuel souhaité par PINEL va se transformer en pratique collective. L’asile devient une institution totalitaire, elle applique un traitement collectif et prend en charge les besoins du reclus à partir d’une organisation bureaucratique. Ce mode de fonctionnement va perdurer jusqu’à la seconde guerre mondiale, avec, pendant cette période, une dégradation plus importante encore puisque les répercutions des théories eugénistes véhiculées par l’Allemagne nazie via le régime de Vichy qui considère que les malades sont des sous hommes a pour conséquence entre 1941 et 1945 la mort de 40.000 personnes dans les asiles d’aliénés en France laissées à la misère la plus sordide et à la famine. Max LAFFONT a écrit un livre à ce sujet en 1987 qui s’intitule « L’extermination douce ».

En Allemagne, à la même époque, les camps d’extermination pour « incurables », c’est ainsi qu’ils s’appelaient », fonctionnaient dans différentes villes du pays. De janvier à août 1941, 10.000 malades mentaux furent gazés et incinérés dans le seul camp d’Hadamar. Au total, on estime que près d’un tiers furent exterminés dans les hôpitaux du troisième Reich.

Hors, paradoxalement en France, grâce peut être à cet abandon total de la psychiatrie par les instances dirigeantes elles-mêmes en pleine désorganisation, a pu se développer dans un petit hôpital psychiatrique de Lozère au départ dans la résistance et la clandestinité, un espace de liberté propice aux idées nouvelles.

C’est au départ Lucien BONNAFE et François TOSQUELLES qui vont réfléchir tant sur l’oppression de l’occupant et les conséquences du fascisme, que sur l’asile comme lieu d’exclusion et de pratique totalitaire.

BONNAFE est un jeune psychiatre qui arrive à Saint Alban en 1942. Adhérant au parti communiste, ayant des activités militantes, il a trouvé à Saint Alban un lieu refuge. Avant guerre, il fréquentait le mouvement surréaliste, il a participé à la création des premiers ciné-clubs, ou à des éditions de Polésie. Il a également suivi les premières tentatives de réforme du front populaire, qui préconisaient déjà le développement des soins extra hospitaliers. En tant que marxiste, il réfléchit à la situation et à la surdétermination historique et sociale du drame que vit l’être souffrant. En tant que surréaliste, il pressent les proximités du rêve, du fantasme, du délire, comme des créations qui puisent leur source dans l’inconscient. Pour ces raisons, l’internement et les conditions de vie réservés aux aliénés lui semblent une monstruosité.

TOSQUELLES est un psychiatre catalan, qui, lorsque survint la guerre civile en Espagne, a déjà une riche expérience.

Psychanalysé, il dispose de solides connaissances du Freudisme grâce à la venue de psychanalystes hongrois et autrichiens qui ont fuit le nazisme. Militant au parti Trotsko-libertaire, il s’engage dans les troupes républicaines et se retrouve, après la défaite, dans les camps de réfugiés du sud de la France. Ensuite, il est accueilli à Saint Alban par BONNAFE.

La rencontre de ces deux médecins en rupture avec les idées du pouvoir officiel va être extrêmement fructueuse, ils vont associer leurs activités de résistants et un travail de remise en cause généralisé de l’organisation asilaire.

Pour eux, la lutte contre l’occupant et contre la sur-aliénation est indissociable : Ce chantier sera le point de départ de la « psychothérapie institutionnelle ».

Dans l’hôpital, cela se traduira par une multitude de changement au quotidien : On enlève les barreaux aux fenêtres, on ouvre les portes, les patients participent aux réunions décisionnelles, les infirmiers sont formés, et ne jouent plus uniquement le rôle de gardien. De plus, pour faire survivre chacun, l’hôpital doit s’ouvrir, rétablir par l’intermédiaire des infirmiers, des patients et de leur famille tout un réseau d’entraide et de solidarité avec les paysans des alentours.
Saint Alban servira également de refuge pour cacher des clandestins dont les plus connus sont Paul Eluard et Georges GANGUILHEM. Des penseurs, des artistes côtoient des malades internés.

C’est donc dans la clandestinité, parce que le pouvoir officiel est vacillant, et grâce à des dicidantsà l’ordre établi que le carcan aliéniste au service du pouvoir a pu éclater et permettre dans les décennies suivantes que les malades mentaux sortent progressivement de l’isolement et de la prise en charge orthopédique et totalitaire dans lesquels ils ont été maintenus volontairement pendant plus d’un siècle.


C’est dans une idée de rupture avec l’ordre établi que se sont développées des idées nouvelles à l’origine du secteur, idées soutenues par la théorie psychanalytique autour de l’ouverture de l’institution dans la communauté (il est à noter que le freudisme jusqu’à cette période était soigneusement tenu à l’écart par la communauté médicale). Il s’agissait donc dans l’esprit de ces nouveaux psychiatres affranchis de remplacer « l’hygiène de l’isolement » ESQUIROLLE en « hygiène de la liberté ». ESQUIROLLE, éminent psychiatre aliéniste du 19ème, prétendait « l’isolement agit directement sur le cerveau et force cet organe au repos, en soustrayant l’aliéné aux impressions irritantes, en réprimant la vivacité et la mobilité des impressions, en modérant l’exaltation des idées et des affections ».


Conclusion :

En conclusion, je crois que l’intérêt de se tourner vers l’histoire, c’est de pouvoir profiter de ses enseignements, afin d’éviter de retomber dans les mêmes pièges et reproduire les mêmes erreurs.

Dans le cadre de la psychiatrie, il s’agit d’être attentif pour éviter une nouvelle approche monolithique de la prise en charge de la folie.

A l’heure où les neurosciences et leurs cortèges de recettes psycho-éducatives semblent prendre une place de plus en plus importante dans le quotidien des soignants, A l’heure où l’industrie pharmaceutique a vu dans cette approche des perspectives de bénéfices considérables, afin d’éviter une nouvelle forme de pensée unique, autorisons nous le « politiquement incorrect ».


Patrick SIMON, (IDE psychiatrie G04,CMP)

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