Les journées de l'AMPI (Association Méditerranéenne de Psychothérapie Institutionnelle) ont eu lieu les 17 et 18 octobre 2008 à Marseille sur le thème : "La souffrance croisée des soignants et des soignés". Dans le cadre des XXII èmes journées de PI.
Florian, Psychologue, nouvellement arrivé au G04, a accepté d'être notre reporter aux journées de l'AMPI, nous le remercions, voici son article :
Se rencontrer, se connecter, collecter un peu de chacun pour faire un tout, un tout de parole, « le dire ensemble » avait même valeur que « le vivre ensemble » Je pense que c’était ça le souci de ces journées proposées par l’AMPI.
La psychiatrie souffre certes, mais comment faire pour ,nous, ne pas en souffrir plus ?« Si les affects ne sont pas parlés, cela peut entrainés de la souffrance, mais de quelles souffrances on parle ? » Etait dit comme un préambule aux journées...
La psychothérapie institutionnelle a le souhait de faire lien, de lier le mental avec le social dans le quotidien d’une institution : comment rendre la rencontre possible avec les défenses personnelles, les évolutions de la société, les protocoles à respecter, et autres devoirs bureaucratiques? Il a été question du devoir de mettre du sens (un peu) au travail.
« L’humanité est le moteur de notre travail » ouvrait le président de l’AMPI, psychiatre dans un pavillon psychiatrique de l’hôpital Edouard Toulouse à Marseille.
« Ne restez pas seuls »
« Le travail ne se comprend que quand il rate, que quand ça bute » dit un conférencier expliquant les enjeux des conflits, et l’importance de les identifier. Le morcellement des statuts, la segmentation des équipes, rendent impossible les rencontres. « La question du travail normal ce n’est pas d’appliquer une bonne prescription ». La prescription échappe à la réalité. Il faut faire face à ce qui n’est pas prévu par les prescriptions. Il a longtemps été évoqué la place de l’imprévu qu’il ne faut pas négliger pour que la rencontre s’opère. Oury, présent au premier rang était dès le début du colloque cité en référence. Les élèves citaient le maitre : « Travailler, c’est toujours bricoler, c’est toujours de faire au mieux ». Il a été dit à plusieurs reprises que quand ça rate c’est normal, « c’est l’inventivité en acte », cela fait parti du travail.
Ainsi les doutes, les difficultés, les souffrances doivent être parlées. C’est comme cela qu’une construction du travail est possible. Nous devons être capables d’accueillir l’imprévu avec légèreté. Oury, encore cité, disait que « l’humour c’est le sérieux multiplié par le précaire ». Tout travail institutionnel ne peut se faire que par seulement la présentation de ce qui marche, mais pas seulement, il faut aussi analyser ce qui rate, et « penser ensemble sur ce qui cloche » parce qu’il ne faut pas oublier que « se coltiner la folie et ses échos, la souffrance des patients, on s’en prend plein la gueule ! » La tribune reprenait en cœur que le bricolage, c’est le travail.
« Le ça rate, c’est un travail de création qui a buté ».
Le psychiatre espagnol Enrique Serrano expliquait que c’est la souffrance qui permet la rencontre avec l’autre : « Les pathos deviennent logicos ». Il évoquait l’importance de
« construire des passerelles » entre le malade et sa famille, dans le travail thérapeutique entre malades et soignants, afin de se mettre en contact avec l’autre, même isolé. C’est « créer un espace mental pour des soignants et des malades ». Il ne faut plus s’isoler dans un monde où la souffrance n’est pas partagée. Tout le long de son énoncé, il semblait essayer de faire transmettre ce devoir d’être uni, lier à et dans un groupe. Que c’est seulement dans un collectif qu’on peut « tenir » la souffrance. « Il ne faut pas rester seul ». Il est important d’intégrer psychiquement dans les soins, la souffrance partagée de la famille des patients, il reprenait l’exemple de sa clinique avec des enfants psychotiques. Il ne faut pas rompre l’équilibre psychique qui permet à la famille de tenir. « La souffrance c’est la sensibilité ».
Il conclut en disant qu’il y a un désir à soutenir pour ne pas tomber dans une vision doloriste de la souffrance.
Resnik, dans son exposé, parti sur l’étymologie de souffrance, sofere en latin : supporter.
« Supporter et tolérer la psychose, supporter peut se transformer en plaisir si on arrive à supporter avec le patient ». Il rajoute qu’il faut rassembler les moments épars dans le communautaire pour que « la souffrance devient belle ».
Il finit sur une série de questions qui plongèrent la salle dans un profond silence…d’associations : « Qu’est ce qui fait histoire dans un groupe ? Qu’est ce qui se transmet dans l’histoire du groupe et des histoires singulières ? »
« Allo maman bobo »
L’après midi a été un vrai moment de souffrances. Des ateliers sans thèmes précis, des animateurs éclatés, seule la souffrance a été parlée, cela prenait des ampleurs de mauvaises supervisions où chacun venait dire que la souffrance c’était l’autre. Comme par une sorte de vision binaire et clivée : le mal c’est l’autre. Les infirmiers critiquaient des cadres, les cadres critiquaient des directeurs, la mécanique bureaucratique, bref la parole était à la victime. La souffrance était ailleurs, absente, est donc assez difficilement élaborable dans un temps qui était destiné à travailler avec, ainsi la souffrance était seulement parlée en maux. Il en était oublier le principal, c'est-à-dire de travailler avec et autour de la souffrance du patient et sa propre souffrance.
La nuit porte conseil…
Le lendemain, peut être les intervenants avait eut écho de notre atelier, en tout cas, il a été dit
« qu’il y a une souffrance à prendre la parole ». Elle occupe le devant de la scène. Soigner c’est prendre soin, c’est faire attention aussi par la parole et l’analyse institutionnelle. Il faut repérer ce qui se passe dans une équipe : projection, hyperaction, clivage, mauvais objet…Ce qui cloche, c’est ce qui fait l’institution, faire avec, être ensemble…
Patrick Chelma insista sur le « travailler » : résister et tenir le coup. « Vivre pas seulement survivre ». Ne pas tomber dans la souffrance, miser sur leur désir. Il est venu interroger la question de l’engagement : « les équipes souffrent de ne plus pouvoir s’engager. L’engagement est devenu un risque, un pire ». Il a rappelé l’importance de la parole dans le groupe : « Ce qui se dit pas, ça agit »
« Et Zorro est arrivé… »
Puis le maître monta sur la tribune. Jean Oury, celui que tout le monde avait cité au moins une fois dans son intervention, était bel et bien devant nous. Dès ses premiers mots, on le reconnu : « La rencontre pas par hasard ne sert à rien. On ne peut pas la provoquer », il parla de la circulation dans l’institution : Organiser la circulation pour permettre la rencontre, il faut la liberté de circulation, de contact, c’est « l’ouverture thérapeutique ».
Il raconta l’histoire d’un patient et de sa prise en charge particulière « les anges gardiens ». Cet homme ne pouvait pas être seul, alors les autres patients se sont relayés jour et nuit pour rester près de lui, « pour une présence physique ». Puis le patient est reparti chez lui, apaisé semble-t-il. Il écrit encore à Oury, en disant à chaque fois « d’embrasser les anges gardiens » de sa part.
Puis, il reprit le débat sur la cotation des actes : « Combien ça coûte un sourire, parce que c’est vachement efficace ? » Canguilhem disait en son temps que « tout homme peut être maitre de ses propres normes ».
Ce qu’il y a entre les mots, entre les pages est le plus important. « La fonction soignante, elle se partage avec les patients ». Un grand monsieur ce Oury alors….
Ces journées inscrites dans le mouvement « psychothérapie institutionnelle » ont permis à chacun de pouvoir associer sur sa propre clinique, sur sa pratique singulière, celle où l’on est au plus près de la souffrance, celle des patients, celle de l’institution et inévitablement la notre.
Continuer, tenir le cap, avancer, sont des devenirs qui ne peuvent se faire qu’à plusieurs. Ne restons pas seuls plus longtemps, sortons de nos solitudes singulières pour essayer, ensemble, d’apporter quelque chose, au risque que ça rate…
Florian Bensoussan, psychologue intra G04
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"Psy cause toujours" écrivait Pierre Delion, dans un travail déjà ancien sur la psychothérapie institutionnelle en hôpital de jour. Le psy de ce billet là cause fort bien de la souffrance et de l'altérité et de cette intersubjectivité qui nous fait tenir face à elles. Merci.
RépondreSupprimerJ’étais contente de pouvoir au travers de cet article percevoir l’ambiance du congrès de l’AMPI même si je n’avais pas pris le temps d’aller m’y poser…
RépondreSupprimerPour autant, dans cette ambiance, j’y ai retrouvé quelques coinçages familiers.
« Le travail ne se comprend que quand il rate, que quand ça bute ».
« La tribune reprenait en cœur que le bricolage, c’est le travail ».
« Ainsi les doutes, les difficultés, les souffrances doivent être parlées. C’est comme cela qu’une construction du travail est possible ».
« Il faut aussi analyser ce qui rate, et penser ensemble sur ce qui cloche »
Ok, mais qu’en est-il quand on en arrive à ne plus penser que ce qui cloche ?
Que ce passe-t-il quand le continuum du discours n’est plus qu’un discours sur ce qui ne va pas, ce qui ne permet plus de travailler, ce qui fait que tt est impossible…comme c’est un peu le cas à l’AMPI, ou dans d’autres lieux où l’on soutient que la psychiatrie actuelle n’est que souffrance.
Peut-être alors que ce qui apparaîtrait de l’ordre de l’imprévu, de ce qui rate, ce serait justement ce qui marche. Et que c’est justement ce qui marche qu’il faudrait prendre le temps de penser, d’entendre, d’accueillir, pour espérer faire ouverture.
S’il est si important de ne pas laisser de coté ce qui dérape, ce qui bute, ce qui n’advient pas, c’est en ce que ça souligne l’existence du désir qui se cache derrière et qu’il y a à l’entendre pour avancer. Ce n’est pas parce que ce qui rate est intéressant en soit….sinon , on pourrait penser qu’il n’y a qu’à installer le ratage, le bricolage, pour bien travailler.
Peut-être que dans ce désir de consternation dans lequel se trouvent plongés les anciens de la psychiatrie, il y aurait à relancer un désir de vie !
Il semble qu’il y ai eu qq traces de cette nécessité de soutenir le désir pour avancer :
« Il y a un désir à soutenir pour ne pas tomber dans une vision doloriste de la souffrance ».
« Vivre pas seulement survivre ». « Ne pas tomber dans la souffrance, miser sur leur désir ». « Interroger la question de l’engagement ».
Mais cela sera-t-il suffisant pour sortir de ce magma dépressif dans lequel la psychothérapie institutionnelle a tendance à se murer ? Il semble qu’il reste encore des deuils à faire messieurs les anciens!
Merci à Florent pour ce texte.Je ressens actuellement de la souffrance de partout et surtout une difficulté à se poser,prendre le temps,se parler,prendre le risque de se parler (acte non coté!) et d'être dans l'humain qui semble de plus en plus se réduire à une chose à rééduquer...alors çà fait du bien de lire ce qui parle d'équipe, de bricolage ensemble,...autant être à plusieurs dans une même galère! je reviens du forum des psychologues (Avignon) et j'en retiens une image évoquée par M. CHARRIER:"d'un côté, on a des pêcheurs alignés le long d'une berge avec leur canne à pêche,ils s'observent,se questionnent sur leur fil de pêche,leurs hameçons,... de l'autre, il y a un chalutier avec des pêcheurs qui tirent tous ensemble un gros filet...où est le travail d'équipe?..." j'ai trouvé cette image très parlante...je la laisse à ceux qui souhaitent en faire quelque chose...
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