Laurent un infirmier du service avait présenté un texte sur la vision qu’il avait d’Antoine à la dernière soirée du collectif de psychothérapie institutionnelle, c’est aujourd’hui Edith qui vous témoignera d’un moment d’échange qui a initialisé leur rencontre.
Autour de ces vignettes cliniques, je tenterai de déposer quelques concepts pour argumenter l’orientation que nous avons donné à notre travail.
Transfert éclaté et constellation transférentielle
Mon projet, c’est de partir de ces 2 concepts et outils de la psychothérapie institutionnelle pour dégager des points d’appui qui peuvent accompagner notre quotidien de soignant, nous aider à repérer ce qui est en jeu dans notre travail et nous permettre de nous engager plus avant dans notre pratique.
Pour soutenir cela, j’ai choisi de partir d’un texte publié dans la revue Institution n°9, écrit par Marie- Renée Legrand qui intervenait à la clinique La Borde, un des hauts lieux de la psychothérapie institutionnelle.
Dans son texte, elle parle de la notion de transfert dissocié, et tente d’en dégager les grandes lignes. Elle part d’une question qui nous concernent tous Le transfert c’est quoi ?
Je traduis sa pensée :
Est-ce un truc réservé aux patients névrosés ou un concept possible à penser dans le travail avec les psychotiques ? Du côté de l’équipe, est-ce là aussi un machin bidule réservé aux psychanalystes, psychologues et médecins qui doit être travaillé uniquement dans le cadre de la cure et des entretiens individuels ? Ou est-ce au contraire un concept important à manier pour toute personne appartenant à une équipe et s’engageant dans un accueil aux patients.
On entend parfois : « le transfert comment l’éviter ? Comment apprendre à se préserver, à mettre des limites aux relations, à laisser sa personnalité et tout ce qui est de l’ordre affectif au vestiaire. Comment apprendre à chaque catégorie du personnel à se cantonner à son propre rôle ? »
Tout ceci, dit Mme Legrand, entretient la confusion entre « relation duelle » non « travaillée » et le transfert. Je la cite : « On peut comprendre l’appréhension des soignants dans certains milieux hospitaliers où l’échange est devenu transmission, où la parole ne circule pas et où chacun se débat en solitaire avec ce qui pourrait être de l’ordre du transfert ». Fin de citation.
En effet lorsqu’une relation s’engage entre un soignant et un patient, s’il n’y a pas d’espace de retour possible dans l’institution, ou si le cadre institutionnel ne permet pas d’accueillir ce travail, la dimension transférentielle disparaît, risquant par là même la réduction à une relation duelle non travaillée. Viennent alors dans cette relation se rejouer les problématiques du patient et du soignant dans une répétition et non plus dans un espace créatif qui pourrait mettre au travail, au travers de cette rencontre singulière, les questions de chacun. Il est alors dans ce cas là compréhensible, sauf à jouer les apprentis sorciers, que l’on puisse s’en protéger que l’on cherche à l’éviter ou qu’on le limite à ce que l’on a déjà éprouvé dans notre mode relationnel personnel.
Je la cite à nouveau : « Pourtant, le transfert est quelque chose de créatif. Il y a donc nécessité pour chacun quelque soit son statut de se mettre en mouvement, en état d’invention permanente et collective. Le transfert est la mise en acte de l’inconscient. C’est de cette mise en acte qu’il s’agit dans le transfert dissocié. Permettre l’émergence d’une certaine fonction du signifiant chez un sujet dont l’histoire est rayée souvent, est marquée par le déraillement du signifiant, l’échec de toute relation d’objet, l’absence d’objet « a ». A la place, des bouts d’objets, des morceaux de corps, C’est ainsi que se lit la dissociation : ça commence par des débris de corps, sans lien et c’est toute l’existence qui est en bribes et en morceaux, souvent dispersés.
« Le psychotique est un voyageur de nulle part »
Passer de ces « nulle part » à des lieux du dire : c’est par là que tout commence : permettre créer inventer un espace où le dire puisse éclore, où le « a » baladeur nomade puisse se poser, se faire reconnaître. Faire de chaque lieu de vie, lieu commun, espace de rencontre ou de croisement un lieu possible du DIRE ». Fin de citation.
DIRE je le précise, ne se résume pas bien sûr à ce qui s’exprime par les mots. Le corps, les émotions, les actes les écrits posés par quelqu’un, une colère, un mutisme, un « je reste dans mon lit » en disent autant qu’une série de mots. DIRE, dans le sens où nous l’emploierons ici, c’est, poser quelque chose de soi-même, se faire reconnaître en déposant un bout de soi.
Je mets un peu de côté le texte de Mme Legrand pour y revenir ensuite.
A la clinique de La Borde, cette dimension institutionnelle qui fait de chaque petit coin du parc, de chaque morceau de l’institution, de chaque rencontre, une espace du DIRE existe. On pourrait ajouter, ça transpire les murs. C’est la fonction première même de cette clinique. La patient se ballade, au gré des rencontres avec les uns et les autres au fil des ateliers, au gré de ses mouvements internes, trouvant mille occasions de se poser, d’investir ou de fuir un espace. La cuisine, le jardin, le poulailler, la lingerie, le bureau du médecin, sa chambre…autant de lieux croisés avec autant de temps, d’espaces de rencontre : le repas, la réunion du club, le journal quotidien, la toilette, l’entretien des parties communes….croisés eux même avec autant de personnes, le cuisinier, les moniteurs, les autres patients, la lingère, le voisin de chambre, le patient qui prépare les médicaments, celui qui tient le bar, son médecin, le médecin de son pote… Bref quelque chose qui se constitue en réseau, qui accueille le patient dans une mosaïque d’espaces du DIRE tissée de lieux et de gens.
Ceci bien que poussé à l’extrême dans ce lieu là, est le fait même de chaque lieux d’accueil, de chaque institution. Nous savons que les patients discutent entre eux, nouent des relations privilégiées, ils nous le disent. Nous savons aussi qu’ils investissent différemment tel ou tel lieu du service, qu’ils ne tiennent pas les mêmes propos à l’hôpital de jour, que dans le service d’hospitalisation, qu’ils disent des trucs à un infirmier qu’ils se garderont bien de dire à leur médecin, ou l’inverse. Un patient est en lien avec sa famille, nous aussi, mais différemment de lui. Si vous allez interroger la serveuse de la cafétéria ou le patron du bar du coin, ils vous diront qu’ils les connaissent tous et qu’ils ont une relation privilégiée avec certains. Mais prenons nous seulement le temps de le faire ? Nous sommes nous aussi une mosaïque de lieux, de gens différents qui sommes constitués en réseau pour peu qu’on y prête attention et que l’on entende ces espaces comme autant de lieux du DIRE.
Pourtant, il ne suffit pas qu’existe ces lieux du DIRE, il faut encore qu’ils soient repérés comme outils de travail possibles, comme autant de lieux que le nomade baladeur a investi, et que l’institution parte de cet a priori pour en faire quelque chose…
Il ne s’agit pas seulement dit-elle, de rassembler les morceaux : morceaux de dire ou de corps ou de « a » ou de transfert. Ça ne ferait jamais que des tas de morceaux
Il faut dit-elle que les échanges des objets voire des corps ou des parties du corps soient l’occasion d’un discours global, à décoder, que toute cette matière patiemment dégagée soit travaillée. L’une des instances de ce collectif c’est la Constellation. Fin de citation.
Qu’est ce qu’une constellation ? Au sens propre il s’agit d’un ensemble d’étoiles ou de planètes que l’on a en quelque sorte assemblées par un fil symbolique et qui dès lors représentent quelque chose par exemple un dragon, un chariot, une déesse. Ici, c’est comme si chaque petit morceau de transfert, de DIRE, avec chaque lieu, chaque personne, était cette étoile ou cette planète, et que le travail du collectif était d’en faire une constellation, quelque chose qui prenne sens. N’est-ce pas en fait ce qu’il se passe dans nos réunions de service, celles ou l’on rapporte les paroles ou les actes d’un patient au travers de plusieurs discours ?
L’infirmier de l’intra l’a accueilli et partage actuellement son quotidien d’hospitalisation. Cet autre infirmier lui, l’a vu aux urgences à son entrée alors qu’il était en pleine crise. Il le perçoit très différemment.
Le médecin le suit d’habitude au CMP, il était inquiet. Il souhaitait le faire hospitaliser depuis quelques jours déjà. L’assistante sociale elle, rapporte avec ferveur les propos des parents.
La psychologue ne le connaît pas mais elle en entend régulièrement parlé par un de ses patients. L’infirmier de secteur lui a bien accroché. Il le voit toutes les semaines à domicile. Celui de l’hôpital de jour dit se souvenir de lui pour l’avoir accueilli quelques mois auparavant quand il était stabilisé… Tous sont déjà pris dans une relation particulière et donnent autant d’images différentes de ce patient, à des instants transférentiels différents. Si l’institution reconnaît l’existence de cette mosaïque, et plus encore soutient l’idée d’en faire un espace transférentiel, cela va pouvoir constituer une base pour tenter de soutenir, au travers du projet de soin, le travail avec le patient.
Une constellation, je cite à nouveau Mme Legrand, c’est le regroupement de toutes les personnes concernées par un patient, ceux qui « habitent » avec lui un de ses lieux du DIRE. A La Borde, quand une constellation se réunit pour travailler, ce sont les soignants, les autres planètes qui sont interrogés. Cette réunion de constellation, est une ponctuation par rapport à l’itinéraire d’un patient, itinéraire concernant son mode de socialisation, son traitement médical, son investissement, son mode d’occupation des lieux et à travers tous ces éléments, situer les points de transferts et de contre transfert .Ce déchiffrage, parce qu’il est opéré vient modifier une présence, quelque chose se met en mouvement. Fin de citation
Lorsqu’un patient arrive en hospitalisation, il a son histoire qui le précède, et il vient déposer au creux du service sur tous les espaces relationnels qui lui sont offerts au travers des personnes présentes ses questions, sa problématique, son rapport au monde et ce de manière éclaté. A partir de là, l’équipe, va se retrouver prise dans le monde psychique du patient, dans ses clivages personnels et les conflits internes qui sont les siens. Cela se passe comme s’il venait projeter son être sur le support qui l’accueille. Pour peu qu’elle y prête attention, l’équipe peut créer là un espace transférentiel. Au travers des réunions, elle a à réduire ces tensions en mettant au travail les perceptions différentes que chacun a du patient à ce moment là, et à les composer en mosaïque, comme autant de facettes d’une même personne. La plus part du temps ce travail se fait tranquillement, et le retour fait au patient au travers du projet de soin, l’apaise. Mais parfois, le clivage dans l’équipe se creuse en une dualité difficile à réduire. Qui n’a pas connu un moment d’une prise en charge où un patient est vécu par l’équipe de manière complètement différente et conduit à deux projets de soins diamétralement opposé. Par exemple, un patient que les infirmiers voient comme quelqu’un qui profite de l’institution pour tout un tas de bénéfice secondaires, qui passe son temps à remettre en question les règles de l’unité et que l’on aurait tout à fait intérêt à mettre dehors, alors que le médecin et la psychologue par exemple le perçoivent comme très déprimé avec des possibilités de passage à l’acte imminent. Plus les uns défendent leurs positions plus les autres affirment les leurs, plus le clivage se creuse, plus le patient adresse aux deux clans deux discours dissonants, les renforçant par là même dans leurs convictions. Tous ont pourtant raison, il est à la fois très déprimé et profite des bénéfices secondaires que lui apporte l’institution en crachant néanmoins dans la soupe. Ce n’est pas manipulatoire, c’est son rapport au monde, il est comme ça depuis toujours. Ce n’est qu’au fil des réunions, parce que ce clivage va être perçu par le groupe, parce qu’une donnée clinique nouvelle ou le point de vue d’une autre personne va faire tiers qu’il va être possible de penser un projet commun qui tienne compte de ces deux perceptions. Par exemple, il va lui être proposé un suivit ambulatoire intensif avec cependant mise à la porte pour non respect des règles. Ou bien il va être décidé de mobiliser les parents pour signer une HDT pour que ce patient puisse continuer à être soigné tout en étant cadré de manière plus ferme à l’intérieur de l’unité. Cette décision ne soit pas être réduite à ce que j’appellerai un consensus mou qui marquerait en fait le renoncement de guerre lasse d’un des pôles du clivage, mais elle doit être le fruit d’un travail qui permet de prendre en compte la perception de chacun en ce qu’elle représente diverses facettes du patient.
C’est là un travail auquel nous pouvons accéder tous les jours pour peu que nous prenions la mesure de l’espace nécessaire à ce que les points de vue des uns et des autres puissent être tissés ensemble. Lorsque nous pensons : « Les autres n’ont rien compris, moi je sais que j’ai raison », il y a fort à parier qu’ils nous perçoivent exactement de la même façon. L’espace se réduisant alors à une confrontation duelle, une confrontation de savoir sur le patient qui évacue tout espace possible au transfert. Si au contraire, nous gardons en tête le fait que nous ne sommes que les objets transférentiels du patient, et que nous ne sommes pas interpellé sur notre savoir mais sur notre ressenti, il y a alors un espace possible d’échange et de construction d’un projet de soin, loin de l’écrasement d’une relation duelle non travaillée qui nous attrape comme un moustique dans une toile d’araignée.
Je passerais maintenant la parole à Edith ma collègue infirmière pour qu’elle puisse vous présenter son texte. Vous y retrouverez cette notion de clivage au sein de l’équipe, cette idée qu’une position tierce puisse apparaître et l’esquisse de ce qui peut la soutenir pour que puisse se poursuivre ce travail de constellation transférentielle. Vous y entendrez surtout que le transfert est toujours quelque chose qui se noue à partir du positionnement et du désir du soignant qui lui permet en s’engageant de sa place à lui d’apparaître dans le paysage du patient et de permettre une rencontre.
I.GASTAMBIDE (Psychologue, psy G04 la seyne)
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ce lieu de soin peut-il proposer des stages pour tout travailleur social désirant enrichir son expérience?
RépondreSupprimertu peux essayer, envoie une lettre de motiv
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